Histoire de menuisier


"Mais je croyais que tu devais te remettre à l'écriture ?"
Certes.
Et je n'ai pas abandonné l'idée, loin de là, même quand l'assiduité à ce blog devient plus éphémère. Je souffre juste d'un syndrome, récurrent, et pourtant assez compréhensible qui vient me ralentir dans ma lancée quand celui-ci se manifeste.
Je ne sais pas mettre mon inspiration en double file. Il n'y a de la place que pour une seule investiture, pas de cumul des mandats. Je peux être dans des phases de réflexion, d'écoute, de projection de mes propres états d'âmes sur les images ou les histoires qui m'entourent. Ou je vis. Et quand je suis prise dans une parenthèse pleine de vie, je plonge la tête la première, sans me pincer le nez ... Au risque de boire la tasse.
Quand se présentent à moi certains "évènements", ou que mon agenda, en mode improvisation, vient à se remplir de moments de vie, ma capacité à m'étendre à l'aide de mots émergeant à la surface de ma conscience, libérés par les fonds déliés mon esprit, prêts à être pêchés au passage par le filet de mon inspiration et ce flot de phrases désordonnées que je viens trier sur ma page se figent alors dans un silence pieu : "Vas-y vis, on se retrouve plus tard, et on debrief ..."
Aurais-je cette incroyable incapacité à vivre les choses et à les assimiler en même temps ? J'ai toujours besoin d'un temps de recul, d'une phase de digestion des informations reçues. Comme pour amortir l'impact. Et me voilà en train de retourner le moindre détail de l'histoire dans absolument tous les sens, refusant d'en tirer la moindre conclusion. Ma vie, celle des autres, l'actualité, un son, une image, une odeur, tout est décortiqué avec une précision chirurgicale, dans un sens, selon une théorie, puis une autre, pour faire des aller-retours, ou même prendre encore une autre direction totalement différente. 
Et c'est exactement de cela que je tire mes lignes ici-même, sans avoir à me forcer, seulement en laissant danser mes doigts sur le clavier, imposant une chorégraphie personnelle sans me soucier de l'intérêt qu'elle pourrait avoir à la fin de celle-ci.
Et laisser mon esprit se livrer à cet exercice au moment même où je vis les choses viendrait fausser mon appréhension à recevoir ces histoires. Il n'est pas si habile de laisser tout contrôle s'évaporer pour accueillir les éventualités qui ne sont inscrites nulle part.
Ne pas savoir quelle route va emprunter mon envie d'écriture ... Allumer mon écran pensant écrire sur un sujet en particulier et me perdre dans d'autres considérations. Il est absolument délicieux d'avoir la sensation que rien ne peut m'empêcher de tout lâcher là, ici et maintenant. 
Lâcher quoi exactement ? Je reste toujours si vague, mes mots ne décrivent que la surface, la profondeur restant floue, teintée d'insinuations, d'allusions légères, jamais de concret. Le concret est lourd. Le concret est rationnel. La rationalité m'ennuie. Elle guide déjà mon quotidien de mère, de femme active, d'intendante de mon porte-monnaie. Ma part de folie, étouffée dans un carcan cartésien explose dès que je lui entrouvre la fenêtre. Juste une envie de prendre une bouffée d'air sentant bon la liberté et la beauté des vies, et le moindre tout petit début de fantaisie s'engouffre comme un violent courant d'air écartant brusquement les deux pans de cette fenêtre ouverte sur toutes les opportunités d'être. Être autre chose qu'une masse organique soumise qui accomplit poliment les taches pour lesquelles elle est attendue dans une société aux rouages bien huilées ... Société qui tend à perdre les pédales, enfin ceci n'étant qu'une appréciation personnelle.
Et se rendre compte par divers biais qu'en fonctionnant de cette façon, les personnes qui m'entourent, qui se partagent les rôles principaux dans ce film un peu pathétique qu'est ma vie tout à fait ordinaire, sont d'une grande richesse existentielle, et participent à rendre cette histoire bien moins ordinaire. 
En ouvrant cette brèche sur un horizon plein de surprises, quand au départ terrifiée à l'idée que cela puisse laisser rentrer une part d'inconnu qui mettrait un désordre insoutenable dans la rénovation encore fragile de mes envies, ce sont de nouvelles matières, couleurs, odeurs qui se faufilent dans l'agglomérat de mes sensations restées figées jusqu'alors.
Il faut toutefois savoir refermer les ouvertures pour faire revenir le calme, quand il ne s'impose pas de lui-même. Et là débute le défilé des différentes étapes de digestions cérébrale et émotionnelle, ayant chacune leurs contradictions et une coexistence infiniment houleuse. Pour en extirper quelques esquisses brièvement sous pesées avant d'être délivrées ...
Contempler les personnages que j'aime vivre, me ravit et me nourrit. La possible découverte de nouveaux protagonistes de cette histoire m'anime. Que de l'inconnu résulte un nouveau chapitre dans lequel s'entremêlent les destins croisés de chacun et viennent désaltérer ma soif de sensations, plus ou moins exubérantes, comme posées et sereines.
Je ne peux parler de ce que je ne sais, mais rien ne peut m'empêcher de me pencher au-dessus de ce ruisseau de curiosités qui coule juste à côté du chemin bien tracé qu'il est inquiétant de quitter même un instant. 
Il m'est arrivé régulièrement de penser ne rien savoir, n'être sure de rien, de penser tout et son contraire,  pourtant, il me semble, aujourd'hui, m'être fidèle. Je crois enfin m'accorder le bénéfice du doute, le droit l'erreur, et surtout la crédibilité de mes chemins de pensées.

Une chose est sure, quand j'écris je finis fatiguée, mon cerveau est branché en mode vampire, pas d'inspiration avant minuit !

Aïe ...

"Ferme la porte, y'a des courants d'air ! - Non, justement ..."

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