Capitaine Haddock

Je n'ai pas le pied marin. Les sorties en bateau ça me brancherait bien pour le coté détente et la beauté des paysages, sans oublier la pureté de l'air et l'impression de ne plus vraiment appartenir à ce monde durant les quelques heures de cette escapade. Bien entendu, il m'est arrivée, deux fois je crois, de faire de vraies journées en bateau, voilier ou à moteur, j'ai même dans une autre vie passé un brevet pour occuper quelques heures mes journées de vacances d'été, enfin surtout pour libérer mes parents de ma présence en plein début d'une crise d'adolescence qui s'annonçait plutôt rude, et qui s'est révélée au-delà de toute espérance, bref. J'ai éprouvé ces sensations à la fois revigorantes, et apaisantes. Ayant côtoyée quelques esprit "marin" j'ai pu constater ce trait de leur personnalité un peu particulier, avec nous mais pas vraiment, relayant leur esprit détaché de leur corps, oublié encore quelques heures à plusieurs noeuds de là. Ce côté, "j'apprécie votre présence, mais je serais tellement mieux là-bas". Qui a goûté aux pouvoirs des mers se trouve souvent éprit d'une profonde passion dont il aura du mal à se détacher, et qui le rappellera toujours vers lui ... 
Mais je n'ai pas le pied marin.
Outre la peur (au milieu de tant d'autres) de chavirer, de passer par-dessus bord, d'être pris dans une tempête ou d'être confier entre les mains d'un piètre navigateur, auxquelles s'ajoute un vaillant et fier mal de mer (compris dans le pack "mal des transports") qui m'oblige à prendre un médicament avant tout embarquement, qui lui-même me plonge dans une somnolence me privant de ma pleine conscience et donc du plaisir de ce moment.
Enfin voilà, je n'ai pas le pied marin.
Alors, quand retentit cette expression : "garder le cap" dans mon esprit, au moment où toutes les craintes citées quelques lignes plus haut se sont et continuent de se matérialiser au sens métaphorique des termes, cette expression si forte de sens me fait l'effet d'une punition, d'une sentence même. 
Pourquoi ne puis-je pas me perdre, me laisser couler, m'échouer sur une île déserte, laisser mon embarcation flottée au hasard des vents et marées. Où puis-je bien trouver l'envie de garder ce cap coûte que coûte qu'elle qu'en soit l'énergie que cela me demande ? Et puis quel cap ? Quelle direction ? A quoi ça rime tout ça ? Est-ce la responsabilité de mère qui m'oblige à toujours devoir garder ce chapeau de capitaine sure d'elle, qui sait où elle va ? 
Mais quedal !
Je ne sais pas où je vais, et je ne vois ce que je gagnerais à le savoir ! 
Découvrir des cas de figure, des situations matérielles comme émotionnelles, apprendre à se connaître, revoir sa copie, affirmer ses propres limites alors qu'on les découvre soi-même ... 
Garder quel cap, bon sang ?
J'ai juste envie de créer un espace, pas très grand, comme une parenthèse, un boudoir, où je pourrais, où je laisserais mes faiblesses, mes peines, mes déceptions, mes craintes, mes vagues-à-l'âme, mes idées noires, mes rêves inavoués et inavouables, toutes ces vilaines bêtes qu'il faut sans cesse enfermer dans notre boîte de Pandore, pour une fois, se déverser, s'étendre, se pavaner, pavoiser, quelques heures, quelques jours, leur faire croire qu'elles me guident, les laisser passer devant, pour enfin les voir s'éloigner, puis disparaître. A les contenir, je les retiens. A me les interdire, je me les impose. Je les sens pousser, forcer le passage, je les vois déborder, brièvement et inopinément. 
Je n'ai pas le pied marin, et absolument aucun sens de la mesure, mais je sais que nous n'avons qu'une seule et unique vie et au combien il est difficile de la dessiner telle qu'elle nous inspire, et de s'y sentir serein et épanouie ... 
De nouvelles raisons de voir tout en gris, j'en découvrirai sûrement encore et encore, comme tout le monde. Mais il y a des évènements, des gens, qui viennent bousculer l'ordre établit, pour me rappeler que vivre est un exercice périlleux, éprouvant, pendant lequel il faut sans cesse faire preuve de subtilité, de force, d'intelligence, et de courage. Qu'est-ce qu'il peut manquer ce dernier. La fuite est tellement plus docile ... 
J'ai un mantra, j'en ai plusieurs d'ailleurs, mais celui-ci doit être le plus ancien, je devais avoir 13 ans la première fois qu'il m'est venu, et il m'a servi jusqu'ici bien plus qu'un couteau suisse dans une portière de voiture, mais aujourd'hui comme demain, quelques soient les raisons de ce "touché de fond de piscine", il est plus vrai que jamais : "c'est comme tout, ça finira par passer".

Allez je vais essorer mon pull marine ...

Commentaires

Articles les plus consultés