Doctrine amicale

"C'est si simple d'être heureux ..." me disait une amie il y a 2 semaines, jour pour jour.
Amie qui, à l'instant de cette réflexion, ne l'était pas, heureuse, mais qui, comme moi, est convaincue qu'il suffit de se laisser aller aux belles choses qui vous tendent la main et d'arrêter de s'interroger sur les probables malheurs cachés à l'angle de chaque décision qui ne demandent qu'à être prises. Depuis qu'elle m'a fait partager cette part de sa philosophie, avec les circonstances que je connais, ces mots raisonnent, et tournent en boucle dans mon esprit, accompagnés de mes propres doctrines et controverses. Ainsi je regarde autour de moi, j'écoute les réflexions de chacun, et prend conscience que peu d'entre nous ne s'arrêtent sur ce qui est doux et facile, pour laisser les aspects plus rudes noircirent la totalité du tableau.

Je crois avoir une vision assez simpliste de la vie, n’exiger que le bon pensant qu'il est facile à obtenir, ce qui génère beaucoup d'incompréhension quand autour de moi j'ai le sentiment qu'on me complique la tâche. Mon quotidien n'est pas fait que de grands bonheurs et de tapis rouges, mon intendance est soumise à une gestion rude avec très peu de marge de manœuvre, et les portes sont loin de toutes s'ouvrirent en grand au moindre de mes désirs, désirs qu'il m'est encore difficile de définir de manière ferme et définitive, ne voulant me priver d'aucune opportunité d'épicurisme. Je me réfugie d'ailleurs de façon névrotique dans une forme de cynisme non assumé quand l'occasion s'en présente : un exposé de petites satisfactions reposées uniquement sur des valeurs rationnelles et primaires, ou si je me risque à étaler une difficulté passagère que je juge absurde à l'audition de cette dernière. Je peux offrir assez rapidement une image défaitiste et pessimiste à certains instants, où mon esprit, mon corps, et les jours qui passent sont plus las et ne m'offrent que peu de répit, comme cela peut arriver à n'importe quel être humain ordinaire.
Pourtant, une grande partie de mon âme me rappelle qu'un pur bonheur se cache derrière chaque élément de sa vie, si tant est qu'aucun obstacle véritablement douloureux ne s'y oppose, et que l'on soit capable d'ouvrir sa conscience à une telle sensation de plaisir. 

Ce soir, alors que nous regardions un film grand public avec mes deux bouts de moi-même, l'un allongé sur moi, me confondant avec un transat chauffant, serrant mon bras droit autour de sa poitrine, l'autre engouffré au creux de mon bras gauche, caressant ma main de la douceur des ses petits doigts délicats et pleins d'amour, ces mots ont à nouveau retenti "c'est si simple d'être heureux ...". Et alors que ma fille s'est mise à pleurer quand je l'ai embrassé pour lui souhaiter une belle nuit, l’émotion qui m'avait prise un peu plus tôt seule au volant de ma voiture pour me rappeler que demain j'allais laisser derrière moi ces deux petits être merveilleux qui font de ma vie ce qu'elle est, en grande partie, et inversement je vous l'accorde, m'est alors remontée au bord des yeux. Mais rassasiée de moments exclusifs pendant lesquels je n'avais eu à les partager avec personne, je lui ai tout simplement rappelé que la face A de sa belle vie était achevée, que demain on retournerai le disque pour passer à la face B, différente, mais tout aussi plaisante pour eux, que les deux faces duraient exactement le même temps, et qu'aux premières notes de cette nouvelle écoute, elle oublierai la nostalgie de la première. Et de relativiser pour lui expliquer que je ne disparaissais pas totalement du paysage, les moyens de communication moderne nous permettant de rester en contact sans encombre. Il est certain que l'annonce d'une garde alternée, à un moment de votre vie où vous vivez tous les jours, chacun des instants de vie de vos enfants, est comme un tsunami auquel il est difficile d'imaginer survivre ... Sortir peu à peu de la moitié du quotidien de ses enfants, accepter que certaines décisions seront prises sans vous, que vous n'aurez pas une totale emprise sur les différentes philosophies qui croiseront leur chemin, avoir suffisamment confiance en eux, en vous, en l'autre concepteur pour lâcher prise, c'est aussi comprendre que l'autre partie du calendrier vous est à cent pour cent dédié. C'est cela aussi voir le bon côté des choses. "Je suis votre maman, je ne suis pas toujours là, et pourtant ça n'entamera jamais notre profonde joie d'être ensemble, et pour le reste, on s'en accommodera".

C'est en cela que je pense avoir une vision simpliste de la vie. Je déteste qu'on me complique la vie, que l'on m'impose des considérations qui m'apparaissent superflues, tordues, obscures, créer de la complexité là où il n'y en a pas. L'inquiétude est l'état d'âme qui me semble le plus insupportable, il ne soulage pas, ne fait avancer aucun débat, obscurci la raison, et pousse même à prendre les pires mesures qui puissent être. Quand je suis envahie par ce type de sentiment, je me sens comme piégée, et chaque minute asphyxiée par les idées anxiogènes qui se succèdent me semblent interminable. Quand elles s'envolent, grâce à un miraculeux déclic interne, ou l'action divine d'une personne de confiance qui saura désarmer cette arme de destruction massive dont j'ignore moi-même le fonctionnement, je me sens libérée, comme si l'on avait soulevé le 38 tonnes venu écraser ma poitrine et que je retrouvais enfin toutes les capacités de ma pleine conscience, et à l'instant même la joie se dessine sur mon visage soulagé. Je hais littéralement cet état, et je peux reporter par effet collatéral cette haine sur la personne qui en serait la cause. Parce que j'essaye d'orchestrer ce qui est possible de l'être de façon essentielle, simple et vraie, quelqu'un qui me compliquerait la tâche en me causant cette inquiétude détestée prend de plein fouet l'écho de mon instinct de survie et de ma quête de sérénité.

"C'est si simple d'être heureux ...", marcher, penser, écouter, goûter, sentir, regarder, laisser, caresser, serrer, préparer, attendre, se souvenir, sourire, rire, ressentir, envisager, projeter, oublier, découvrir, lire, croire, pardonner, accorder, s'en réjouir, s'en nourrir, et surmonter tout le reste.
Je n'écris aucune partition à l'avance, je décide d'un thème pour les quelques pages à venir, une tonalité, une couleur, une rythmique, et les notes se poseront comme elles veulent, comme elles peuvent, parce que vouloir tout maîtriser c'est se torturer inutilement, parce qu'accepter l'inattendu c'est faire confiance à demain, et c'est surement la plus belle preuve d'amour que l'on puisse s'offrir.

Mon esprit fleurit d'idées et d'envies, j'ai le bonheur d'être la maman de deux êtres merveilleux, j'ai un certain nombre d'amis absolument magiques, une famille tellement authentique, j'ai la tête et le cœur remplit de souvenirs pour me donner toujours plus d’énergie à en vivre, et en créer davantage. Mais les manques sont là. Le manque de temps pour bien faire les choses, ou le manque de recul pour ne pas se disperser ... Le manque de moyens pour mettre en oeuvre rapidement, ou le manque de patience pour accepter que ce qui est solide met du temps à être élaboré et réalisé ... Le manque de partage parce que la vie est pour moi l'équilibre certain entre sa propre individualité, une dévotion aux plaisirs des autres et la résultante de ce doux mélange, ou le manque d'autosatisfaction pour ne peut-être pas attendre de retour, et se contenter de vivre auto-centré. Cette dernière option me paraissant peu envisageable, au vue de mon besoin viscérale d'échanges vivants. Les envies auraient-elles suffisamment de force pour provoquer, agir sur l'avenir ? Le doute m'habite (note d'humour graveleux, autant pour moi).

Les derniers jours de 2017 arrivent à grands pas et le besoin de se recentrer se faire sentir de façon toujours plus insistante. L'incertitude a ses propres limites, et même si j'affectionne particulièrement la spontanéité des jours qui passent, je n'ai plus envie de vide, de murs, de filtres, de retenues, de chutes, de remords ou de regrets. Je n'ai plus envie d'être celle que l'on pense plus forte que tout, qui peut tout encaisser, tout surmonter. C'est ma passion pour la vie qui m'a aidé à dépasser tous les moments de détresses, largement accompagnée des âmes les mieux intentionnées. J'ai juste envie de profiter de cette amour pour la vie, sans avoir à me parer d'une quelconque armure, trop lourde à porter, elle m'empêche de sentir chaque rayon de la joie d'exister, et de surcroît de la partager.

Tu as raison ma biche, c'est si simple d'être heureux ... Pourtant.


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