Pivotez, pivotez, pivotez !



Nous revoilà ici, toi et moi. Toi, la page blanche que j'affectionne tant, et moi qui attend qu'une fois encore tu me sauves la vie et l'esprit. Je t'ai attendu depuis plusieurs jours, avec toutes ces images, tous ces mots se débattant avec férocité, essayant de prendre forme. Mais ce n'était jamais le bon moment. Et puis tu le sais bien, toi et moi quand on se fréquente trop souvent, nous n'avons plus grand chose à nous raconter. Ai-je réellement une histoire intéressante à te délivrer ce soir, pas vraiment. Juste une envie de libérer ces émotions qui me guident, pas toujours sur la bonne voie.

J'ai marché sur l'eau pendant plusieurs semaines, c'était nouveau et fantastique. Puis mes pas ont commencé à trembler comme sur un fil. J'ai lutté, j'ai voulu ressaisir ce pouvoir incroyable qui m'avait guidé au-dessus de tout, en vain. J'ai coulé, j'ai sombré. Je le sais pourtant que chaque étape doit être vécue pour tourner une page, mais avec ce sentiment nouveau et puissant de liberté, je me suis laissée surprendre par ma tête et ce coeur qui se sont encore une fois alliés pour me stopper dans mon élan.

Le temps. Prendre son temps. Le temps m'anéantit. Il n'est pas mon ennemi, mais il me laisse trop d'espace pour tourner et retourner des idées étranges, trompeuses, désastreuses dans ma bulle. Passage obligé ? Quelles douleurs ! 

C'est devant un énième spectacle de stand-up, que je me suis entendue rire. Alors, aux grands maux les grands moyens. Plutôt que de me vautrer dans la fange du désespoir, qui s'était bien emparé de moi, j'ai décidé de m'enfiler ... Tous les épisodes de "Friends" depuis le premier ! Me plonger au milieu de cette bande d'amis fictive que j'idolâtre depuis mes seize ans, me croire avec eux, assise au milieu de ce salon mal décoré, revivre ces histoires d'amours qui ont fait rêvé nos coeurs d'adolescentes, et rire aux pitreries parfaitement amenées. Trois jours que je m'y plonge pour retrouver le goût d'une vie que j'ai touché du bout du doigt. 

Pathétique ou immature ? Peu m'importe. Parce que je n'oublie jamais. Jamais. Et c'est terrible d'avoir un cerveau qui n'oublie pas. Tantôt nostalgiques, ou bordées de rancune, les pages ne sont jamais vraiment tournées. Tout juste un nouveau chapitre à l’écriture, et le souffle d'une porte que mon esprit rouvre avec fracas vient remettre au grand jour des émotions, sentiments passés  que l'on essaye d'enterrer, des très vieux, comme des plus récents. Jamais je n'oublie et je ne sais plus ce qui appartient au passé, au présent, aux faits, aux fantasmes, aux désirs ou aux peurs assassines ! 

Chaque passage à vide se ressemble un peu, beaucoup, et à la fois apporte son échantillon de nouveautés. Pour le meilleur comme pour le pire. Les constats sont plus rationnels, les détresses plus douloureuses, les interrogations plus profondes, la volonté plus combattante, le brouillard plus épais, et l'envie plus curieuse. Tout le monde mûrit, à moins d'avoir un problème mental assez prononcé. Je me sens coincée à mi-chemin entre ce constat et la maladie mentale. J'ai mûrit sur tant de domaines, dans le monde professionnel on respecte mes positions, j'élève mes enfants la tête haute avec des principes qui font tenir la maison debout, je gère le matériel avec beaucoup d'inventivité pour allier nécessité et plaisirs, j'aime davantage être posée quelques temps dans mon cocon, j'apprends à dire non, j'apprends à en assumer les conséquences. Et pour tout le reste ... Je suis bloquée dans la machine à remonter le temps. Tout ce qui s'approche de la confiance en soi dans les rapports humains, j'ai 5 ans, j'ai 14 ans, j'ai 17 ans, j'ai 28 ans, j'ai 34 ans ... J'ai 42 ans, mais quand ? Qui a appuyé trop fort sur le bouton et l'a laissé coincé dans cette position provoquant un court-circuit incessant ? Est-ce autre chose ? Le besoin de s'accrocher à des idéaux d'humains aimants et bienveillants jour et nuit, d'interactions et de touchantes affections ... Grandis merde ! Et bien disons que je ne suis pas prête. Je vais rester fragile encore un peu, quelques années, toujours peut-être. Parce que c'est moi, parce que ces faiblesses font parties de mon histoire ... Et que je n'oublie jamais rien.

Ma très chère maman avait une expression quand j'étais adolescente et que je me débattais déjà au milieu des codes que je ne comprenais pas, elle me disait "ça, c'est de la fierté mal placée ma fille". Et après ? Si c'est tout ce que j'avais pour me défendre, et si cette fausse arrogance m'avait sauvé au lieu de laisser celle des autres me fracasser à l'intérieur ? 

Dimanche soir, alors que je me véhiculais vers mon fournisseur de mal bouffe préféré, dans mon bolide à gyrophare, j'essayais de dessiner ce qu'est, à mes yeux "l'amour-propre". Celles et ceux nés au début des années 80 et avant, se rappelleront de nos jolies boules de Noël, vous savez ces boules en verre si fin, léger et lisse, qui, quand elle nous échappait des mains, ne se brisait que du côté qui touche le sol, et ces dizaines de morceaux parfois minuscules, parfois plus gros étaient tout à fait impossible à rassembler, à recoller. Pourtant quand vous tourniez la boule du côte de l'autre face, elle était intacte, toujours aussi scintillante, il aurait été tout à fait possible de la raccrocher dans le sapin sans que personne ne s'aperçoivent que la face cachée était, elle, brisée, vide, tranchante. C'est exactement comme cela que je vois mon amour-propre ; je suis cachée dans cette boule fine et fragile, qu'avec les années et les diverses expériences, j'ai complètement recouverte d'une épaisse couche de polystyrène, comme ces boules moches qu'on achète à Cultura pour faire des ateliers manuels avec les enfants avant Noël et que l'on prétend avoir perdu l'année suivante, parce que bon, hein, la déco et le bon goût avant tout. 

Malgré un apparat inesthétique et peu agréable au toucher censé protéger la fragile couche en-dessous, l'armure est bien anodine au moindre choc un peu plus violent que les autres. A l'extérieur rien n'a bougé, à l'intérieur une vaste partie du verre s'est brisé, en parfois minuscule, parfois plus gros morceaux. Et une fois encore il va tout même falloir essayer de rassembler ces infimes morceaux qui sont en train de vous blesser, on ne peut pas laisser ça comme ça,. Ce ne sera peut-être plus aussi joli recollé mais ça fera moins mal que ces morceaux de votre estime qui sont en train de vous imposer une souffrance insupportable. Cela sera long, ce verre fin, et lisse n'est pas facile à rassembler. En attendant, je ferai bonne figure grâce à la boule en polystyrène mal décorée, après tout je n'ai plus rien à perdre, et je n'ai rien d'autre à faire. 

Je me brise facilement, en milliers de petits morceaux depuis toujours, et comme les stigmates d'un mauvais collage, je n'oublie jamais. Il me reste toujours la face qui n'a pas touchée le sol, elle rétrécie au fur et à mesure qu'elle subit ces accidents de parcours, mais je les aime bien moi ces cicatrices, c'est ce qu'elle est, et tant qu'on la sort des cartons du grenier pour décorer le sapin, c'est qu'elle fait encore l'affaire.

Mes palabres manquent d'humour ? ... Regardez Friends !


Cadeau pour les inconditionnels :



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