Voyages à l'eau de rose


Je n'ai encore jamais pris ce risque ici. 
Il y a un peu moins de dix ans, lors d'un déplacement professionnel à Shanghaï, alors que je somnolais devant un film en VO sans sous-titres, diffusé sur HBO, je fus prise d'une envie débordante d'écrire sur ma vision de l'Amour. Ce que je fis sur le papier à entête de l’hôtel à ma disposition et sur lequel je n'ai jamais réussi à remettre la main. Je venais de voir un film où les deux protagonistes principaux passaient à côté de leur histoire à force de quiproquo, d'incompréhension et de grandes différences culturelles. Pour se retrouver à la fin du dit film, classique, Happy End hollywoodienne oblige ; du grand art en somme.
A cette époque, mon histoire qui avait été malmenée avait repris de plus belle après avoir été mise entre parenthèses pendant quelques mois. Alors que je fêtais, désespérée, mon troisième anniversaire de mariage seule dans ma chambre d’hôtel à plus de 10 000 km de l'homme que j'aimais, j'eus besoin de formuler à l'écrit ma vision du sentiment amoureux. Pour constater au final que je n'avais pas de vision ferme, définitive, définie par un cahier des charges éducationnel et sociétal. Je jouis d'une éducation par laquelle seule l'expérience vient étayer la théorie qu'une société bien trop morale aurait voulu m'inculquer sans justification humaine.
Tout au long de cette rédaction, je pensais à Georges Sand et Alfred de Musset, l'histoire d'amour la plus belle et la plus déchirante qu'il m'ait été donné de connaitre bien loin devant ces petits morveux de Roméo et Juliette ... Bien qu'un "Shakespeare in love" ait le don de m'arracher quelques larmes à chaque diffusion. 
Je me souviens avoir définitivement adopter une règle devenue un dogme depuis, selon lequel il n'y a absolument aucune règle, aucune loi, aucun registre capable de définir exactement ce qu'est l'Amour, cette notion appartenant à chacun en fonction de son vécu et de sa propre sensibilité. L'idée que ce sentiment revêt bien des costumes différents et qu'aucun d'entre eux n'est négligeable, chaque histoire à son lot de vérités qu'il est impossible, interdit même de renier ou de mépriser.

Une personne m'a demandé il y a deux semaines si j'étais un cœur d'artichaut, ce qui me fit sourire car ce n'était pas la première fois qu'on me posait cette question. Il est certain que j'affectionne particulièrement le sentiment amoureux, car bien qu'il me prive d'une partie de cette indépendance d'esprit qui me caractérise, il m'ouvre les portes d'une sphère bien différente de celle dans laquelle j'évolue sans ce dernier. Je le vis comme une dimension supplémentaire à mon champ de vision, je mets alors à vivre en 4D. Tous mes sens sont démultipliés et mon cerveau se règle sur une logique ultra capitaliste de surproduction. Jusqu'à ma vision qui se met à percevoir l'environnement, les couleurs, les formes de façon plus détaillée, mon toucher, les moindre de fibres de ma peau deviennent plus sensibles aux matières, leur températures, le détails de chaque nuance d'une surface. L’ouïe, l'odorat, le goût ... Tout. Tout est plus fort, le corps est alors éprouvé par autant de sensations qu'il avait perdu l'habitude de ressentir, et naît alors le sentiment d'être totalement chamboulé, et de se demander si tout cela doit être vécu de cette façon, ou si je n'ai pas tout simplement un problème d'hyper sensibilité que ma tête et mon corps ont du mal à contenir, et dont ils auront à partir de cet instant beaucoup de mal à se passer.

Je crois avoir "aimer" à l'âge adulte au sens commun où on l'entend, soit disons à partir de 18 ans, cinq hommes, dont une histoire de 14 ans au milieu des autres. Oui, j'ai compté avant de débuter ce post, et alors ? Rapporté à la proportion du nombre de rencontres, je peux assurer ne pas être un cœur d'artichaut. Toute la complexité ici réside dans l'interprétation de ce sentiment amoureux. Il me suffit alors de me poser quelques instants et de me souvenir. Me rappeler que la passion aussi excitante et intense qu'elle soit ne mène à rien à part au fond du trou. Qu'une histoire passionnelle vous reprend au centuple ce qu'elle vous a offert avec un faux-semblant de sincérité pour mieux vous annihiler totalement et à laquelle il faut savoir renoncer avant d'y laisser définitivement son âme tout entière. La logique voudrait que l'histoire la plus longue soit la plus vraie. Pourtant quand, si elle s'achève, elle oblige à de nombreuses interrogations sur son fondement. Il y a la rencontre fortuite, celle qui se démarque de toutes les précédentes, par le contexte, par la singularité de la personne, par l'envie qu'elle fait naître, par le doux rêve de quelque chose de simple et d’évident. Qui au demeurant se révèle bien moins aisée que de prime abord, et décourageante au point d'y mettre fin aussi rapidement qu’elle fut née, si tant est qu'elle ne soit née un jour ailleurs que dans le fantasme de son esprit rêveur.
Et c'est tout ? Plus rien ? Aurais-je rangé mon cœur dans un coffre blindé fermé à double tours à l'abri des indésirables ? Comment serait-ce possible en suivant un dogme prônant la vie, ses fantaisies et ses cadeaux ? Je serais incapable de m'être si infidèle, même avec la meilleure volonté du monde. 

Une question reste cruciale à mon regard. Aimons-nous vraiment ou remplissons-nous un vide ? Et c'est bien là qu'est l'essentiel. Une histoire d'amour qui remplit un vide est rassurante, elle donne le courage d'avancer, permet de rentrer dans les cases d'une société exigeante et intransigeante quant au reflet que vous devez renvoyer pour prouver votre volonté d'être "quelqu'un de bien". C'est l'histoire de laquelle nous sommes le plus esclave. Elle n'est pas longtemps intense, elle n'est pas fantaisiste, elle pourrait être reposante, bien que si peu épanouissante qu'elle finit par épuiser la créativité dont notre cœur regorge. Il est terrifiant qu'elle s'arrête pour ne laisser à nouveau que ce vide béant qu'on n'a jamais pris le temps de remplir par ses propres ressources et qualités.

La vie étant capable de nous mettre à l'épreuve avec des farces aux allures d'injustices, la question se pose ainsi : en ai-je besoin ? Avoir besoin, c'est palier à un manque. Quelle image sinistre pour une histoire entre deux êtres qui se sont trouvés. Je n'ai pas besoin d'avoir plus. Mais ici, là et maintenant je ne parle pas d'avoir. Je parle d'un lien qui se tisse au premier contact, d'un bien-être limpide, d'une douceur de vivre qu'on a immédiatement envie d'adopté, d'un sentiment profond et indéfectible quelques soient les circonstances, le lieu et l'instant ; d'une histoire qui fait passer toutes les autres pour un soap de mauvais gout, et qui relaie les tentatives de diversions au rang de dérapages non-contrôlés et douloureux. 
En ai-je besoin ? L'amour n'est pas indispensable pour vivre. Ni même pour être. Mais il faudrait vraiment être siphonné, ou prisonnier de ses carcans, pour ne pas sentir son cœur vibrer et son âme sourire dans le regard renversant d'une personne qui a le pouvoir de vous emprunter une partie de votre être. 

Il faut aussi avoir un sacré gout pour le risque de se vautrer telle une chute libre sans parachute, je l'accorde.

Chiche ?


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